Vendredi 17 avril 2020

Quelques reflexions sur le Grand Vendredi

Très chers amis et fidèles,
Mes bien-aimés frères en Christ,

 

Cette nuit, pendant l’Office de l’Orthros, nous avons revécu l’épisode de la Crucifixion et nous avons accompagné La sainte Théotoque et le saint Apôtre Jean les Saintes femmes avec Joseph et Nicodème jusqu’au tombeau que les gardes ont scellé.
Tous est calme maintenant ; « tout est consommé ».

Ce grand vendredi et une partie de samedi, règne un grand silence emprunt d’une certaine tristesse et en même temps d’une attente joyeuse qui n’ose pas encore s’exprimer. Celle-ci se manifestera lorsque nous entendrons les Lamentations (thrènes) de la Mère de Dieu (les stances) qui dira sa douleur devant la déchéance de cette nature humaine qu’a adoptée son Fils, Jésus, et qui git maintenant dans une tombe après des souffrances inouïes. Elle manifestera en même temps sa foi – et nous la communiquera – en la résurrection de Jésus et à son rejaillissement sur son Corps tout entier, c’est-à-dire sur chacun de nous mêmes.

Mais justement, pendant ce temps d’attente, cette gestation de la vie éternelle à travers cette mort et ces souffrances, c’est le moment de méditer un peu sur ces dernières. En quoi les souffrances du Christ et sa mort nous atteignent donc pour nous sauver ?

D’abord nous sommes en droit de nous poser la question de quelles souffrances s’agit-il ?

- des souffrances physiques, bien sûr, qu’a subies Jésus :coups, flagellation, port de la poutre sur laquelle il devait être cloué, chutes d’épuisement et meurtrissures, clous à vif dans les poignets et les pieds à travers les nerfs, et tiraillement sur ceux-ci, (ce devait être effroyable), étouffement et mort lente… C’est intolérable ! Et pourtant Il les a tolérés dans une acceptation parfaite, sans une plainte, sans une condamnation, avec des expressions d’Amour qui ne le quittaient pas : « Père pardonne-leur… », « Ce soir même tu seras avec moi dans mon Paradis… », « Père (le mot, « abba », pourrait littéralement se traduire par le vocable affectueux « Papa ».

- Il y a les souffrances psychologiques : La trahison de Judas, la haine des grands-prêtres et de la foule. L’injustice de ne pas être reconnu pour ce qu’Il est par ceux qui auraient dû le reconnaître, les descendants de Jacob-Israël. La trouille et la démission de Pilate, l’injuste condamnation alors qu’Il est innocent, l’humiliation infligée par les soldats, la dérision, etc.

- Mais il y a aussi les souffrances « morales ». S’Il a totalement assumé notre condition humaine, toute notre condition humaine, il en a expérimenté aussi les tentations, toutes les tentations ! Comment cela s’est-il manifesté chez Lui ? L’Écriture ne nous le dit pas. Mais cela transparaît à certains moments si nous acceptons de lire les témoignages évangéliques dans leur sens le plus littéral. Bien sûr nous avons le récit des trois tentations sur la montagne de Jéricho pendant sa quarantaine de jeûne au début de Sa vie publique. A la fin de celle-ci, au Jardin de Gethsémani, alors que les Apôtres dorment, par trois fois , avec angoisse qui transforme même sa sueur en caillots, Il s’adresse à Son Père : « S’il est possible que ce calice s’écarte de moi ; mais ta volonté, et non la mienne ». Que la vie publique de Jésus soit ainsi encadrée par le récit de triples tentations, sont un procédé littéraire bien connu : il montre que c’est toute cette période-là qui était sous le signe de la tentation… Ce dernier épisode nous dévoile un peu en quoi consistait la tentation, l’épreuve subie pour nous par Jésus … « S’il est possible… mais non ce que je veux, mais ce que Tu veux… » On perçoit là, une tension en Christ entre deux volontés correspondantes à sa nature humaine d’une part, et à sa nature divine d’autre part. Sa nature humaine angoisse devant les affres qui l’attendent, et elle souhaiterait bien y échapper ! Mais Sa volonté divine lui fait accepter la volonté du Père : « non ce que je veux, mas ce que Tu veux ». Or, en définitive, que représente la tentation qui peut devenir péché ? Le péché est toujours une préférence de soi, un amour de soi, de sa volonté dite « propre » contre la volonté de l’autre. C’est toujours un repliement sur soi, un manque d’Amour ! Voilà justement ce dont a triomphé Jésus tant sur le Mont de la Quarantaine qu’au Jardin des Oliviers à Gethsémani. Il avait d’ailleurs recommandé à ses disciples qui l’accompagnaient : « veillez afin de ne pas entrer en tentation… ».

(Je ne sais si je me fais suffisamment comprendre, c’est un peu à la hâte due au confinement qui vous prive des Offices de cette Grande Semaine que je vous livre un peu brutalement ces réflexions. Et j’espère ne pas insérer involontairement des imprécisions ou des erreurs, qui toucheraient la foi de l’Eglise, celle des Apôtres et des Pères, la nôtre !)

Mais maintenant que nous voyons un peu plus (peut-être) en quoi consistent les souffrances du Christ, cela ne nous suffit pas pour comprendre comment elles nous valent le salut. Après tout, ce sont les souffrances d’un homme, fut-il Dieu. Les souffrances sont elles salvatrices ? Comment peuvent-elles nous atteindre ?
Remarquons d’abord, que ce ne sont pas les souffrances ou les tentations en elles-mêmes qui nous sauvent, mais c’est l’amour que Jésus éprouve au cœur même de ces tentations et de ces épreuves qui ont une valeur réelle. Mais à première vue on pourrait penser que ce serait pour la gloire de Celui qui les affronte, mais en quoi cela nous concerne-t-il au point de nous apporter le salut ?

Pour répondre à cette interrogation, il faut se souvenir que Jésus est pleinement Dieu ET pleinement homme d’une part, et d’autre part que la nature humaine du Christ n’est pas une nature « semblable » à la notre, natures qui se déclineraient en des multitudes d’exemplaires individuels, mais que la nature humaine est une, Jésus est , selon le Concile de Chalcédoine, « consubstantiel » (con-substantiel = une substance, une nature unique) au Père par Sa nature divine, et consubstantiel aux hommes par sa nature humaine. Si par sa nature humaine le Christ est « consubstantiel aux hommes », en Lui, tous les hommes sont ainsi consubstantiels entre eux. Ainsi, ce que Jésus a vécu dans Sa chair et dans Son âme, l’attitude volontaire qui a été la Sienne dans tous les épisodes de Sa vie, Son renoncement à Sa volonté propre, le don généreux de Sa personne à Son Père et aux hommes (y compris à ceux qui le torturaient ou le trahissaient) tout cela nous atteint puisque nous sommes consubstantiels !

C’est ce que signifie la parole de Paul : « … Si des multitudes sont mortes par la faute d’un seul ( Adam), la grâce de Dieu – le don de la grâce d’un seul homme, Jésus-Christ – a surabondé bien davantage, pour des multitudes… Si par la faute d’un seul, la mort a régné de par un seul, bien davantage ceux qui reçoivent par un seul, Jésus-Christ, la surabondance de la grâce et du don régneront dans la vie éternelle. Donc, de même que, par la faute d’un seul, on en est arrivé à la condamnation qui tombe sur tous les hommes, ainsi, par le rétablissement de la justice, qui vient d’un seul, on en arrive à l’acte de justification vivifiante pour tous les hommes. Et de même que, par la désobéissance d’un seul homme, des multitudes ont été constituées pécheresses, ainsi, par l’obéissance d’un seul, des multitudes seront constituées justes.» (Rm 5, 15-19)

Mais ajoutons, que cela ne suffit pas : cela ne se fait pas « automatiquement » ? Où serait notre liberté ? Il faut encore que nous participions aussi à ce mouvement d’amour salvateur : en communion avec Jésus et par Sa force, il nous faut aussi pratiquer l’Amour-Charité, rejeter ( ou tendre à…) toute préférence de soi. Sacrements et prière nous le font accomplir en Lui, notre repentir, notre ascèse sont notre participation. Il a redonné en nous la force, le dynamisme agissant, Il « remonte le mécanisme » de notre re-conversion (pardonnez l’expression un peu triviale) Il vivifie de l’intérieur notre inertie due au péché, mais il nous fait aussi collaborer, chacun selon ses moyens, selon son caractère, selon les circonstances, son éducation etc.

Bonne Préparation, Joyeuse vie éternelle !

P. Élie et les sœurs.